
Librement inspiré du poème Les pauvres gens de Victor Hugo, le film de Robert Guédiguian, Les neiges du Kilimandjaro, met plutôt en scène les petites gens, et en particulier ceux qui vivent à Marseille, dans le quartier de l’Estaque. Michel, marié depuis trente ans à Marie-Claire, est ouvrier sur des chantiers navals, mais surtout fervent militant de gauche. Le film s’ouvre sur le tirage au sort qu’il opère, en tant que délégué syndical, sur le port. Sous le regard indifférent des patrons en costume, il doit piocher vingt noms de gars qui se feront virer, parce que c’est la crise. Les convictions de Michel l’ont poussé à laisser son nom dans l’urne, et il se tire lui-même au sort ; le voilà au chômage, ou plutôt en préretraite. Les jours s’écoulent lentement, entre moments passés avec ses petits-enfants, apéros avec sa femme sur leur terrasse surplombant l’Estaque et barbecues avec son beau-frère et ami d’enfance, syndicaliste au même endroit que lui, et qui a gardé son poste. Michel se sent désoeuvré et n’a de cesse de vouloir faire le bilan de cette vie presque uniquement empreinte de Marie-Claire et de leurs luttes communes. À l’occasion de leurs trente ans de mariage, leurs deux enfants ainsi que leurs amis leur offrent un voyage au Kenya. Quelques jours plus tard, alors qu’ils dînaient avec leurs amis proches, ils sont violemment agressés par deux hommes armés qui les dépouillent de tout l'argent nécessaire au voyage et de leurs économies. Michel reconnaît son agresseur dans la personne d’un jeune homme d’une vingtaine d’année qui travaillait sur le chantier et qui faisait partie des vingt licenciés. Interpellé par la police, celui-ci risque au minimum deux ans de prison. Or, Michel et Marie-Claire découvrent qu’il est le seul responsable, en tant que grand-frère, de deux jeunes enfants. Cet événement fait vasciller toute une vie de certitudes.
Jean-Pierre Darroussin, interprète remarquable du personnage de Michel, joue avec justesse et tendresse cet homme qui n’a jamais fait de mal à quiconque et qui se retrouve, à plus de cinquante ans, pris pour la première fois dans les affres de la conscience. À ses côtés, Ariane Ascaride, magnifique, campe une femme croyante malgré tout, une croyante en l’humanité. La morale, la politique, le sens de la vie, tout s’entremêle dans le film de Guédiguian, construit comme une fable moderne. Faisant fi du réalisme, il met en scène la classe ouvrière à la papa face, à la fois, à une nouvelle pauvreté sans conscience de classe, et aux trentenaires d’aujourd’hui, incarnés par les enfants de Michel et Marie-Claire (Anaïs Demoustier, Adrien Jolivet), qui, malgré une éducation gauchiste et une enfance prolétaire, ne savent pas, ou plus, être bons. Le film de Guédiguian est un film sur la bonté, sur la bienveillance, sur la gentillesse ; il emprunte au poème de Victor Hugo sa chute admirable, et, loin de nous faire un blanc manteau où l’on pourrait dormir, comme dans la chanson, Les neiges du Kilimandjaro nous réveillent et nous secouent doucement.
Les neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian
Sortie le 16 novembre 2011